Petit flashback et préparation:

L’an passé, le fait d’avoir couru le « petit UTMB », l’OCC (Orsières-Champeix-Chamonix, 53km, 3300m D+) avec Christelle et Sylvain et d’avoir vu Mathilde courir le « moyen UTMB », la CCC (Courmayeur-Champeix-Chamonix, 101km, 6100m D+) m’avait fait dire : Pourquoi pas moi sur la CCC en 2015 ?

Après avoir acquis les points nécessaires à la qualification (Saintélyon en décembre) et été tiré au sort fin janvier (tout comme Philippe Petazzoni sur la CCC, Michel Bisson sur l’OCC et Pascal Leproust sur le véritable UTMB), il n’y avait plus qu’à se préparer à la courir.

Montée en puissance au printemps avec la Nivolet-Revard (51 km, 2700m D+), de la marche rapide dans les Ecrins (un week-end sur les traces du maratrail) et, comme l’an dernier, une préparation en altitude pour forger la résistance et fabriquer du globule rouge. Pour allier plaisir et entraînement, l’an dernier c’était le tour du Mustang (Népal) en famille, cette année le tour de la Cordillera Huayhuash (Pérou) avec Valérie courant août.

 

La course:

Arrivé 2 jours avant la course pour la remise des dossards, toujours aussi bien huilée et stricte : pour avoir le droit de retirer son dossard, il faut présenter cinq(sur une douzaine d’ équipements considérés comme incontournables et que l’on doit avoir avec soi pendant toute la course. Une participation toujours aussi internationale : beaucoup d’anglais et d’américains dans la queue, de plus en plus de brésiliens et de chinois.

Tout le monde parle de la météo des 4 jours à venir qui verront se courir l’OCC, la CCC, la TDS et l’UTMB : caniculaire puisque l’on attend jusqu’à 33-34°C à Chamonix. Plutôt content qu’il n’y ait pas de risque de pluie …. Mais la chaleur, ce n’est pas vraiment mon truc !

Je retrouve la veille de la course Philippe Petazzoni et son fils Maxime (on est dans la même course) ainsi que Mathilde (qui ne court pas cette année) et ses enfants.

Mon objectif ? Dans l’ordre : arriver, arriver dans les temps impartis (barrière horaire finale de 26h30) et, en rêvant vraiment très fort, faire mieux que Mathilde l’an dernier : 24h24’. Je prépare une feuille de route basée sur 24h30 avec un total d’environ 1h d’arrêts aux ravitaillements.

28 août : c’est le grand jour ! Lever à 6h30 pour prendre le bus de 7h15 qui nous emmène au départ, à Courmayeur en Italie, via le tunnel du Mont-Blanc. Ambiance joyeuse et plutôt festive dans le bus.

Nous gagnons la ligne de départ (tout le monde est en T-shirt à 1200m et à 8h du matin) où nous découvrons qu’il y aura 3 vagues pour -essayer d’- éviter les embouteillages dans la montée du premier col. Nous faisons tous trois partie de la 3ème , et dernière vague, qui part à 9h20.

Dès le départ, c’est le dénivelé le plus important de la course qui nous attend : un peu plus de 1500m de D+ pour monter à la Tête de la Tronche.

D’aucuns démarrent fort en trottinant assez longtemps dans la montée. Je préfère marcher dès qu’il y a plus de 4-5% de pente. Fort heureusement, il fait encore « frais » et la majeure partie de la montée se fait en forêt.

J’ai dû doubler Philippe et Maxime, partis beaucoup plus vite, à la faveur d’un gros embouteillage que j’ai passé semble-t-il plus rapidement que la plupart (seulement 5-10mn), puisque j’apprendrai par la suite que je passe au col (monté à 3,5 km/h) 3 minutes avant eux.

Par contre, comme ils descendent nettement plus vite que moi, on se retrouve au premier ravitaillement, le refuge Bertone. Il est 13h et il commence à faire chaud … mais ce n’est qu’un début !… En repartant, mes premières crampes, qui me font marcher comme un pingouin pendant 5-10mn (Philippe me rassure : ça va passer ..)

Après être passés au refuge Bonatti, je les retrouve à Arnuva, où il doit bien faire 45°C sous la tente de ravitaillement. On y sue à grandes eaux ; j’ingurgite au moins un litre de coca et d’eau gazeuse (et ce ne sera pas suffisant !) car le plus dur nous attend : il est 16h, il doit faire environ 30°C et il nous faut gravir/grimper les 900m qui nous permettront de passer d’Italie en Suisse par le Grand Col Ferret (2527m, 1000m de D+).

 

Maxime part devant pour « faire sa course », Philippe part 5-10mn avant moi et j’attaque !

Dès le départ d’Arnuva, on aperçoit le col, très très loin et haut et, entre les deux, une longue colonne de grimpeurs, en plein cagnard !

Après environ 45mn de montée plutôt raide, et avoir dépassé des coureurs vautrés sur le côté, d’autres en train de vomir, je suis contraint de faire une pause. Les jambes et le souffle vont plutôt bien, mais je ressens une fatigue/lassitude biologique générale. Gros passage à vide, probablement un début de déshydratation. Je m’arrête et retrouve Philippe qui lui aussi reprend des forces. Boisson, barre énergétique et on repart tout en sachant que l’on n’a fait qu’environ la moitié de la montée. On est en file indienne, personne ne parle, tout le monde souffre. C’est vraiment dur. Je m’arrêterai encore 4 ou 5 fois dans des lacets pour laisser passer à chaque fois une trentaine de participants, en me disant que pour le moment le plus important est d’atteindre le col … à l’arraché. J’aperçois Philippe quelques lacets au-dessus de moi. Et finalement ça passe mais le moral est tellement entamé que, pour la première fois dans une course, j’envisage sérieusement la possibilité de ne pas arriver au bout. Il est 17h30, on se défonce depuis 8h et on n’a fait que le tiers de la course ! (selon les stats post-course, pour cette montée au col, je suis dans les 10 % les plus lents de tous les coureurs). On se repose une dizaine de minutes au sommet où nous retrouvons Alexia, une jeune belge que nous avions rencontrée dans le bus de Courmayeur. Tout le monde est épuisé : un cornet de frites serait le bienvenu !

Nous repartons dans la longue descente qui nous mènera à la Fouly, notre premier gros ravitaillement, où m’attendent Valérie et mon fils Charles. Fort heureusement, nous sommes maintenant à l’abri du soleil et la descente que nous faisons ensemble se passe plutôt bien. Ce qui ne m’empêche pas de continuer de penser sérieusement à l’abandon et de rêver de reprendre la route en famille pour prendre un bon dîner à Chamonix et dormir dans un lit !

Il est 19h00 quand nous arrivons à la Fouly. Charles m’accueille 300m avant le ravitaillement et m’informe que nous avons 20mn d’avance sur la feuille de route que j’avais préparée. J’ai du mal à y croire et lui réponds que, toutes façons, j’envisage sérieusement d’arrêter là.

Pendant le ¼ h d’arrêt, je bois encore beaucoup (soupe, coca, eau gazeuse) et m’alimente un peu (fromage, même saucisson). Tout cela passe plutôt bien. Je décide finalement de me lancer jusqu’au prochain arrêt, à Champex-Lac, que je connais déjà puisque c’est le 1er ravitaillement de l’OCC, courue l’année passée. Je me dis que si j’abandonne à Champex, j’aurai quand même, il est vrai en 2 ans, couru de Courmayeur à Chamonix ! Et puis Valérie et Charles seront aussi là-bas. Il fait nettement plus frais, nous sommes quelque peu requinqués et Philippe, toujours nettement plus rapide dans les descentes, part devant.

A mi-trajet, on allume nos frontales, au début de la montée vers Champex-Lac … qui se passe plutôt bien. La magie de la nuit commence à opérer. Charles m’attend 500m avant le ravitaillement et m’informe que Philippe est passé 6-7mn auparavant. Je commence à me dire que je pourrais éventuellement envisager de continuer, pour voir !

C’est le dernier ravitaillement avant d’attaquer la nuit et une « balade » de près de 4h pour rejoindre Trient. Je prends mon temps (environ 3/4h) pour me changer, me reposer, manger (je n’arrive pas à avaler le plat chaud, des pâtes un peu sèches), boire, discuter … et décider de repartir avec comme objectif le prochain ravito : Trient. Après on verra !

Départ quelques minutes avant Philippe. Je discute avec un participant qui … fume une cigarette pour se donner du courage (pourquoi faire les choses à moitié, me dit-il !) ; je commence à trottiner sur un chemin carrossable en faux-plat descendant d’environ 6-7 km que je connais bien pour y être passé, de jour, l’an dernier. Je suis seul et n’aperçois personne devant ; courir dans ces conditions est un vrai plaisir, dans cette bulle d’espace-temps dans laquelle on se retrouve la nuit et que j’avais expérimentée à la Saintélyon. Je suis réellement dans l’instant présent et le savoure avec tous mes sens ! Et, dans ces conditions, la feuille de route n’importe plus, elle est envolée et le sera jusqu’à l’arrivée !

Après ce faux-plat descendant, c’est l’attaque de la montée vers Giète/Bovines qui « passe » vraiment bien : allure constante, aucun arrêt. Nous sommes une file d’une trentaine de participants qui se suivent, en se doublant rarement. Philippe qui m’a rejoint en est. J’encourage au passage Carla, une anglaise arrêtée dans un virage, en lui disant que l’on était très proche du sommet. Elle est repartie mais j’ai dû m’excuser quand nous y sommes effectivement arrivés presque 1/2h plus tard ! Ensuite c’est un beau passage en balcon de la vallée où l’on aperçoit les lueurs de Martigny. La lune est pleine mais ne nous éclaire pas vraiment. Il fait bon, nous sommes tous en T-shirt. Puis la redescente vers Trient que nous atteignons à 2h1/4. Beaucoup d’habitants sont là, avec leurs cloches et leurs encouragements. Vraiment sympa. Je suis plutôt en forme et suis conscient que le fait de repartir pour le dernier ravitaillement, Vallorcine, signifie que j’irai jusqu’au bout. De Vallorcine à Chamonix, cela m’apparaît presque une formalité (de près de 5h cependant !). On décide avec Philippe de terminer ensemble puisque jusqu’à présent nous nous étions beaucoup retrouvés sans en avoir convenu a priori. ¼ h pour ingurgiter double soupe (aux vermicelles), double café et le solide qui passe et c’est reparti pour la montée à Catogne.

C’est une montée en forêt, forte mais plutôt régulière qui « passe » elle aussi plutôt bien (selon les stats post-course, nous sommes dans les 50 % les plus rapides de tous les coureurs). Je me retrouve à conduire un groupe d’une vingtaine d’entre eux. Je passe même à Catogne avec 2 mn d’avance sur Philippe et attaque la descente avec une frontale qui commence à fatiguer (déjà 7h30 de fonctionnement). Je change de frontale (plus facile que de changer de piles) pour constater que celle de rechange que j’ai emportée, et pas vérifiée, est très inconfortable : peu puissante et gigoteuse ! Qui plus est la descente est assez « technique », des pierres glissantes, des racines, des passages où l’on ne peut que marcher, globalement fatigante car demandant beaucoup d’attention. Et mes quadris commencent à geindre ! Il est 5h du matin et ce n’est pas le moment de se blesser ! Je me résous donc à changer les piles de la bonne frontale. Philippe, qui m’a rejoint, me donne un coup de main pour ce faire. C’est le second passage le plus éprouvant de la course (selon les stats post-course, je suis dans les 10% les plus lents de tous les coureurs pour cette descente). J’ai hâte d’arriver à Vallorcine. Là, à 5h30, ravito comparable au précédent. Nous sommes assis en face d’une estonienne, visiblement VF3, accompagnée par probablement ses enfants, qui arrivera à Chamonix peu de temps après nous (l’une des 2 seules VF3 à l’arrivée).

Nous savons que la montée au col des Montets est « un morceau de gâteau » : 6km de faux-plat montant sur un chemin agréable. Le jour se lève, foin des frontales. On ne court pas mais marchons très vite et atteignons le col de jour. Dernière montée, et pas des moindres, mais c’est la dernière : le Tête aux Vents. On se la fait sans forcer dans la mesure où nous savons que « ça va passer » : on sera, sauf imprévu majeur, à Chamonix dans les temps (on a environ 1h30 d’avance sur la barrière horaire). Arrêt à mi montée pour avaler une barre énergétique et admirer le paysage : le lever du soleil sur le glacier d’Argentières : grandiose. Le dernier sommet, la Tête aux Vents, tarde à venir. On l’atteint à 8h15 … On l’attendait nettement plus tôt (malgré tout, selon les stats post-course, nous sommes pour cette montée dans les 56 % les plus rapides de tous les coureurs). Ensuite nous parcourons le sentier en balcon qui rejoint la Flégère, dernier ravito avant la descente à Chamonix. Sentier assez technique, avec rochers, marches, etc. On marche bien mais sans vraiment se presser, d’autant plus que le paysage sur le massif du Mont-Blanc qui resplendit au soleil du matin est splendide et que nous croisons à plusieurs reprises des chamois (de belles bêtes) qui traversent le sentier à tombeau ouvert dans une espèce de maquis parsemé de gros rochers. On se demande comment ils font ! Et puis… le dernier raidillon pour monter à la Flégère, graal des coureurs de 3 des courses de l’UTMB puisqu’il n’y a plus ensuite qu’à redescendre sur Chamonix. Il y a malgré tout encore des abandons : un participant plutôt jeune, est allongé, blême, sous sa couverture de survie. Le temps d’avaler un dernier café/coca et on repart. Il est un peu plus de 9h00.

Mes quadris se rappellent à mon bon souvenir et me disent qu’ils ont assez donné ; il faut vraiment que je me force pour courir, surtout dans les premières pentes, assez raides, le long d’une piste de ski. On entend déjà la sono de l’arrivée à Chamonix. Il y a un long passage en forêt où je pratique une marche rapide/trottinage et c’est l’arrivée au café de la Floria : il reste alors environ 20mn de forte descente sur un chemin carrossable. L’an dernier, avec Christelle et Sylvain, nous y avions couru comme des dératés. Là, mes quadris me disent « pas question ! ». Ceux de Philippe semblent moins rechigner. Arrivée dans les faubourgs de Chamonix ; Philippe me fait remarquer que beaucoup de jeunes et jolies jeunes filles nous font la fête. Je lui réponds que nous avons certainement le profil qu’elles recherchent. On peut rêver après 24h de course ! Il me dit que ce serait bien de courir. Je (ou plutôt mes quadris) lui réponds que nous courrons quand il y aura davantage de monde pour nous acclamer, ce qui est le cas à 500m de l’arrivée. Tout va très vite. Beaucoup, beaucoup de monde, Maxime et Charles courent les derniers 100m avec nous. On l’a fait ! Je suis très heureux et … cela se voit ?

Il est 10h28, nous sommes partis il y a 25h08 et avons parcouru les 101kms à exactement 4km/h, avec un maximum de 6,6kmh (descente du Grand Col Ferret) et un minimum de 2,8 km/h (montées à Catogne et à la Tête aux Vents). Nous sommes 1158ème sur 1470 « finishers » (plus de 30% d’abandons au total et seulement 1/3 de finishers dans ma catégorie). Maxime, quant à lui, a mis 2h30 de moins que nous et arrive 700ème. Nous fêtons ce succès avec plusieurs bières qui, malgré l’heure et la fatigue, sont vraiment les bienvenues.

En guise d’enseignement

  • Ce genre de course se prépare, physiquement et mentalement, longtemps à l’avance,
  • Quand cela ne va pas, il vaut mieux se fixer un objectif proche, atteignable et réaliste : par exemple le prochain contrôle ou le prochain ravitaillement,
  • Tout le matériel nécessaire doit être testé en conditions réelles de course, c.f. ma frontale de rechange inutilisable !
  • J’aurai finalement passé 1h50 aux différents ravitaillements, soit 1h de plus que je ne l’avais prévu dans ma feuille de route, et c’est vraiment nécessaire !

Et l’an prochain ? La TDS ?

Yves