Témoignage – Trail des crêtes du Chablais – le 15 juin 2019 – 53 km – 3820D+ – Témoignage de Raphaël

Pourquoi je me suis inscrit à cette course ? Je dois remonter en arrière et en expliquer la genèse. La première proposition de participer à ce trail envoyé par Agnès dans son mail me tente bien. Les bords du Lac Léman et les possibles panoramas depuis les cimes des montagnes environnantes, la visite de la région du Chablais, pour ma part très peu connue, donnent du sens et des perspectives à ce déplacement, et je me sens suffisamment en confiance avec les personnes intéressées pour me lancer dans l’aventure.

Malheureusement, pour préparer une saison, il faut souvent s’y prendre longtemps en avance et je suis déjà engagé sur une autre course le 8 juin, soit juste une semaine avant, c’est beaucoup trop juste.

Son nom, La Swiss Canyon trail, je m’y suis inscrit avec des amis coureurs de ma section de course à pied affiliée à mon comité d’établissement. L’idée est de pouvoir retourner à la Réunion où j’ai déjà fait le trail du Bourbon cinq ans auparavant, comme le temps passe… Cette course, la Swiss Canyon, vous permet de vous qualifier directement à la diagonale des fous sans passer par le tirage au sort et sans avoir besoin de justifier vos points. C’est pourquoi elle est très prisée et les inscriptions ont lieu très tôt, au mois d’octobre. Elle est vendue pour 105 kms mais sur le GPS elle fait 113 kms avec 5500 mètres de D+.

Auparavant au mois de mars, je me suis inscrit sur une distance intermédiaire, le trail du bout du cirque dans les Cévennes. Après cinq heures d’efforts, j’ai du mal à boire et manger et les nausées commencent après six heures. L’eau a un goût de plastique écœurant. Après un peu plus de huit heures je n’ai plus assez d’énergie pour aller plus loin. Au 51 kms, je dois abandonner ce parcours de 100 kms et 4000 m de D+. Sans carburant, la seule option est de s’arrêter.

Dans ces conditions, ça n’a plus de sens de vouloir faire le même programme sans franchir les étapes précédentes, ni régler la gestion de mon hydratation cause de mes problèmes digestifs. Je décide d’annuler la Swiss Canyon et d’en choisir une moins longue. Adieu la Réunion ! Vive la Haute-Savoie.

Le trail du Chablais est organisé en co-voiturage et Agnès a encore de la place dans le gîte loué, je m’ajoute à la liste des participants. Nous sommes au mois de mars, il reste trois mois pour se préparer avec quelques courses intermédiaires et un bon entraînement.

Nous partons le vendredi 14 juin à 7 heures du matin, dans la voiture de Pascal P. en compagnie de Philippe R. Une première escale à Yvoire, très beau village médiéval au bord du Lac Léman où les filles Agnès, Christelle, Christine et Eve nous rejoignent pour partager un pique-nique au bout d’une petite jetée où nous voyons une chaîne de montagnes avec des névés toujours présents où nous passerons bientôt. Agnès a passé son enfance dans cette région et nous raconte le parcours et les endroits à visiter. Les monts à franchir le lendemain, Cornettes de Bise, Grammont et j’ai oublié les autres… Après la visite de Thonon les Bains et d’Evian nous récupérons les dossards vers 18 heures.

Les bénévoles nous annoncent d’emblée le changement de l’heure de départ de notre course, à 4 heures du matin au lieu de 8 heures prévu initialement. Pour le 35 kilomètres le départ passe de 8 heures à 6 heures du matin. Tout cela à cause du mauvais temps et d’une tempête annoncée le lendemain après-midi. Le 84 kilomètres est annulé et les inscrits doivent rejoindre ceux du 53 kilomètres.

Eve est la seule à faire cette distance. Pour l’heure cela ne change rien pour elle, et en plus elle ne prend plus le départ seule mais avec Pascal P. et moi-même.

Les autres Agnès, Christelle, Christine, Philippe R. et Pascal L. sont inscrits sur le 35 kilomètres, Florence sur le 18 kilomètre et son mari Dominique en marche Nordique. Nelly n’est pas encore décidée. Sans le 84 kilomètres son choix devient beaucoup plus restreint !

De retour au chalet nous préparons nos affaires tout de suite pour la course, avant d’aller manger et nous reposer un peu, nous devons nous lever à deux heures du matin.

 Le matériel obligatoire comprend une frontale avec les piles de rechange, pour un trail de jour cela semble étonnant, mais ce départ avancé le justifie désormais. Nous arrivons juste à temps sur la ligne de départ accompagnés de 375 personnes droites dans leurs chaussures de trail, les moins motivées, une centaine s’est désistée.

Les organisateurs nous exhortent à la prudence, nous rappellent les règles de sécurité et les passages plus difficiles où nous devons être plus vigilants. Le départ est donné à 4h04, il fait 12 degrés, nous partons en slalomant autour de grands braseros allumés pour l’occasion et on évite de s’en approcher avec nos coupe-vent. Ce serait un peu couillon de s’embraser comme des feux follets un jour de tempête.

Nous sommes au départ à une altitude de 833 mètres et le premier ravitaillement est à Bise après 13,5 kilomètres. Le parcours monte très vite et au 9ème kilomètre nous avons déjà fait plus de 1000 mètres de D+, avant de commencer à descendre un peu. Je cours avec Pascal, Eve est déjà partie devant. Nous avons le plaisir de voir le jour se lever doucement au fur et à mesure de notre ascension. Nous pouvons admirer les montagnes autour de nous. On se console en se disant que les premiers n’ont pas eu cette chance…

En descendant nous longeons une clôture de barbelés, des vaches sont dans le pré et nous accompagnent en courant à la même hauteur que nous pendant plusieurs minutes. C’est impressionnant. Elles semblent vraiment prendre du plaisir à nous suivre.

Nous atteignons le ravitaillement après deux heures quatorze de course. Avec mes deux litres de liquide, je suis encore autonome et je profite du ravitaillement bien fourni de l’organisation. Un verre d’eau gazeuse, un bout de fromage et de Tuc plus le jus de deux quartiers d’orange, et nous repartons tous les deux. Pascal qui était mal fichu toute la semaine a l’air de bien tenir.

Jusqu’à présent, la course se passe bien, je m’astreins à boire très régulièrement.

L’étape suivante, Les Chalets d’Oche – se trouve à 20 kilomètres du départ. Cette partie est très difficile. Nous mettons une heure quarante-cinq minutes pour franchir un peu plus de six kilomètres à travers des névés et des passages le long de corniches pierreuses à flanc de montagne. Nous sommes tributaires de ceux qui sont devant nous, c’est pratiquement impossible de doubler. Mais quels paysages ! Nous arrivons en haut de la « pointe des pavés » à un peu plus de 2 000 mètres et après 1 705 mètres de D+.

La neige est partout sur ce flanc de montagne et elle descend en pente raide sur une centaine de mètres avant de s’adoucir et de plonger dans les eaux glaciales du petit lac qui se trouve en contrebas. Les organisateurs nous rappellent de faire attention car certains de nos camarades ont dévalé la pente et ont failli se retrouver dans l’eau ! Nous n’allons pas assez vite pour cela, mais les chutes et les glissades sur les fesses sont fréquentes, nous avons vite fait de déraper sur la neige et de passer de l’autre côté. Nous faisons beaucoup d’efforts dans cette partie pour rester sur nos jambes et les chutes inévitables nous entament un peu plus, nous avons les mains gelées.

Après la neige, ce sont les cailloux et les rochers, devant moi un Hollandais glisse et tombe le dos en arrière sur une grosse pierre pointue. Il ne va pas se relever c’est sûr. Je me baisse pour l’aider, mais il ne grimace pas de douleur, sa poche d’eau a amorti l’impact et il se relève sans dommage. Pascal en a profité pour doubler, mais du coup je reste derrière. Impossible de dépasser les trois personnes devant moi. Il faut continuer à bien boire et après presque quatre heures de course, j’arrive au deuxième ravitaillement. Pascal est déjà là depuis quelques minutes et il a eu le temps de se recharger en eau. Nous enlevons les cailloux qui sont entrés dans nos chaussures. Je bois et prend quelques quartiers d’orange, mais la table est en pente et très petite, ce n’est pas pratique. Nous repartons très vite.

Comme à chaque ravitaillement nous demandons aux bénévoles de nous préciser à combien de kilomètres se trouve le ravitaillement suivant. Notre objectif, même s’il est d’arriver au bout de la course, se décline en étapes intermédiaires plus accessibles. C’est moins angoissant d’imaginer atteindre une prochaine étape à 7 kilomètres, que de se démoraliser devant la perspective des 35 kilomètres de courses à venir. La plupart du temps ils en profitent pour nous faire le topo des difficultés qui se présenteront à nous sur les prochains kilomètres. Nous repartons en montant. Les côtes sont moins longues mais elles me semblent soudain un peu plus dures. Je m’astreins toujours à boire et je me remémore les conseils de mon nutritionniste, essayer de boire au moins 500 ml de liquide toutes les heures au minimum, et plus si possible. Je n’en suis pas loin mais un peu en dessous. Je n’ai pas eu le temps de remplir mes poches d’eau. Il m’en reste un peu, suffisamment pour la prochaine étape. Elle est au kilomètre 27 et c’est la barrière horaire. Les paysages sont toujours aussi beaux, nous sommes sur les alpages avec des chèvres et des vaches qui se trouvent sur notre route. Nous n’avons pas vu de bouquetins comme Philippe sur le 35 kilomètres, mais nous avons peut-être mal regardé. Ils nous observent sans doute quelque part dans la montagne en se demandant ce que font ces drôles de bestioles sur deux pattes. Des chèvres restent plantées au milieu de la piste et nous devons forcer notre passage. L’une d’elles montre sa désapprobation en soulageant sa vessie à mon passage.

 

 Pascal est mieux que moi. Je ralentis c’est sûr. Sur le plat et en descente j’arrive à suivre le rythme, mais pas en montée. Pascal doit m’attendre à plusieurs reprises.

A la fin de l’avant dernière montée avant le ravitaillement nous avons une vue magnifique sur le lac Léman en contre bas. Ça vaut bien le mal de s’être hissé jusque-là.

Je propose à Pascal de partir mais il me dit qu’on peut y aller à mon rythme. L’ascension du dernier Pic Boré est très difficile pour moi.  

 

Après, la descente se fait en utilisant la technique du rappel, une grande corde nous permet de descendre sur plusieurs dizaines de mètres vers un passage moins pentu. Les bâtons sont plutôt une gêne dans les moments où l’usage des deux mains est plus confortable. Après trois kilomètres plus faciles, nous arrivons enfin à THOLLON en 5 :52 minutes de course. La barrière était prévue à 8 heures de course. Nous avons plus de deux heures d’avance. Pascal arrive une vingtaine de secondes avant moi, mais je dois prendre de l’eau. Je dois aussi récupérer un peu, je force pour le suivre et ce n’est pas bon. Il est mieux que moi, et déjà prêt à repartir. J’ai largement le temps par rapport à la barrière. Je décide de temporiser. Il repart seul. Il a pris la bonne décision…

 

Les opérations de remplissage sont assez longues, une bénévole m’aide et verse de l’eau dans mes poches auxquelles je rajoute mes poudres miracles et quelques gouttes d’huiles essentielles alimentaires à l’orange et à la menthe pour supprimer le goût de plastique. Je reste vingt minutes à ce ravitaillement. Nous sommes à un peu plus de la moitié et surtout à 2 400 m de D+, soit les deux tiers. J’ai bu environ deux litres et demi. Il me manque un bon demi-litre pour être dans les doses prévues.

Les premiers kilomètres se passent plutôt bien mais je continue à peiner dans les montées. Je me sens même bien et je ne ressens aucune nausée. Je mange une barre énergétique pour essayer de reprendre de l’énergie. Je pense que si je gère bien je vais réussir à passer ce cap.

Je me fais doubler, mais j’avance quand même et je double aussi quelques personnes qui sont encore plus en difficulté. C’est rassurant. Cela me fait penser au drame du dossard 512 de Yohann Metay que nous sommes allés voir grâce à Florence au théâtre d’Orsay. Même si on est mal on se sent mieux en doublant quelqu’un encore plus en difficulté que nous ! C’est ce que l’on appelle la charité chrétienne…

 

J’arrive finalement au ravitaillement suivant à Bernex après 8 :01 de course. Je suis très content car même si les montées sont fastidieuses, je gère encore mon hydratation.

Je suis au kilomètre 37 à mon GPS et pour moi il reste encore 16 kilomètres de course. Nous avons fait les trois quart du dénivelé et nous reprenons 500 mètres de dénivelé et ensuite il nous en reste moins de 500 pour finir. Pour moi le plus dur est derrière nous même si ce sont tout de même les derniers kilomètres les plus difficiles.

Je vois le quatrième et dernier ravitaillement avant la fin de la course.

Deux bénévoles qui s’occupent de l’enregistrement des coureurs m’attendent juste avant d’arriver au stand. Je les salue et j’entends au passage :
– Votre course se termine là.
– Je ne réalise pas tout de suite la signification de ces paroles. J’ai l’air si mal que ça ?
– Merci mais je me sens bien et je vais continuer.
– Nous devons arrêter tous les coureurs qui arrivent.
– Mais je ne comprends pas, j’ai passé la barrière horaire de Thonon.
– Cela n’a rien à voir avec cette barrière. Nous avons des consignes de la préfecture. Après 12 heures vous ne pouvez plus continuer.
– J’ai toujours mon dossard, je vais continuer quand même il n’est que 12h05.
– Mais vous devez rendre votre dossard.
– Je dois le rendre maintenant ? Mais je n’ai pas encore fini.
– Vous pouvez continuer si vous voulez mais sans dossard et à vos risques et périls.
– C’est à cause de l’orage qui doit arriver ?
– Oui, les serre-files sont partis juste avant midi. Une fille a essayé de les rattraper il y a quelques minutes après avoir rendu son dossard. Vous pouvez faire pareil.
– Mais je n’ai pas le temps de me ravitailler alors et quel intérêt si je ne peux pas rentrer dans la course ? Comment je fais pour revenir à la Vacheresse ?
– Vous avez le téléphérique qui vous conduit en bas de Bernex.
– Et après il y a des bus ?
– Oui il doit y a en avoir un.

Je me disais que s’ils faisaient cela c’est qu’ils pensaient que l’orage pourrait éclater très rapidement et qu’il ne fallait pas trainer sur les cimes à ce moment-là. C’était difficile de se motiver pour repartir dans ces conditions et je ne savais pas si je serais capable de rejoindre les serre-files.

J’aurais pu finir la course mais je ne sais pas en combien de temps ni dans quel état. Ce sera l’objet d’un prochain test sans doute. L’orage a éclaté à 17 h. Il était très violent, avec des vents de plus de cent kilomètres à l’heure et des grêlons localement. Il n’aurait pas fallu se trouver en dessous dans la montagne. J’aurais sans doute eu le temps de finir, puisque le dernier est arrivé après 12h16 de course soit plus de 4 heures après mais on ne peut pas discuter les consignes de sécurité… Je regrette seulement que les barrières météo nous aient été imposées sans préavis car même si nous avions été au courant une demi-heure avant à quelques minutes, les barrières auraient pu être franchies.

 

Pascal était passé à 11h41 à cet endroit. Il avait bien fait de ne pas m’attendre à Thollon. J’appris par la suite qu’après dix kilomètres, ils avaient dressé une nouvelle barrière météo et Pascal la franchissait à deux minutes près. Je n’aurais pas pu y arriver et j’aurais été encore plus frustré de faire partie de ce dernier convoi.

Pascal a fait une très bonne course en 11 :17, ainsi que Eve qui est arrivée un peu avant, mais qui est souvent tombée, heureusement sans se blesser.

Contrairement à ce qui m’avait été annoncé, une navette nous a descendu en bas du téléphérique et une autre était attendue pour ramener tous les coureurs qui restaient.

J’en ai profité en attendant Eve et Pascal pour voir les autres arriver, en particulier Agnès, Christine et Christelle dans le même temps sur le parcours engagé de 35 kilomètres en 7 :38 minutes suivies quelques minutes plus tard par Pascal L. et Philippe R.

J’en profite également pour me faire masser et manger. Les personnes du 35 kilomètres sont maintenant toutes arrivées, Eve et Pascal ne tardent pas non plus.

Petite déception pour les résultats, la barrière horaire a été relevée de plus de trois heures et tous ceux qui ne l’ont pas franchie ont été considérés comme des abandons, ce qui n’est pas très élégant, il y a peut-être un sigle à inventer…

 

Le lendemain avec le retour du beau temps nous en avons profité pour visiter la région et acheter quelques produits locaux au marché avant de déjeuner au bord du lac Léman. Nous avons ensuite piqué une tête dans l’eau avant de prendre la route, avec Philippe et Pascal. Elle était bonne et le soleil chauffait juste comme il faut. Nous n’étions pas trop pressés de reprendre la route. « Y’avais pas le feu au lac »…

 

Merci encore à Agnès pour l’organisation de ce beau week-end.

Parcours et profil du dénivelé

Résultats

Parcours Confirmé (53.000 km)

  • Eve SOULARD AMICHOT 11:09:30
  • Pascal PETIT : 11:17:49

Parcours Engagé (35.000 km)

  • Christine BRAJON : 07:38:29
  • Christelle DETALLE : 07:38:29
  • Agnès ROCH-SAVEL : 07:38:29
  • Pascal LEPROUST : 07:53:24
  • Philippe RICHARD : 07:58:40

Parcours Découverte (18.000 km)

  • Florence DUFRASNES : 04:03:06 

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