La diagonale des fous

Comme le nom l’indique, une histoire de fous….

Le lieu : l’ile de la réunion

La période : 20, 21 ,22 octobre 2006

Le parcours : Départ Cap méchant à St Philippe, Arrivée St Denis, une belle diagonale du sud au nord.

Le nombre de kilomètres – cette année : 143,3.

Le dénivelé – environ 9000 mètres de D+.

Le délai maximum : 63 heures.

Bref, une belle aventure, que j’ai décidé de tenter, accompagnée d’Eric, qui lui n’en n’est pas à son coup d’essai sur ce genre de course.

Nous voilà enfin sur place, après un accueil chaleureux des organisateurs le dimanche à l’arrivée de notre avion.

Dès le lundi précédant la course nous retrouvons Michel et Claudine Martinoli, avec qui nous décidons d’effectuer une reconnaissance du dit parcours, les 22 derniers kilomètres, de l’église de Dos d’Ane au stade de la Redoute (non on n’y fait pas ses courses…). Tout de suite dans le bain, rien qu’en regardant autour de soi, on se rend compte qu’il va falloir monter. En principe, je devrai passer à cet endroit de nuit, je suis ravie de reconnaître cette portion…En effet, nous passons sur une crête et là, il me faut éviter de regarder à droite ou à gauche ! De chaque côté le vide, sympathique non ? Ensuite de la descente, racines, marches, rochers…je me demande vraiment où je vais aller mettre mes pieds !

Je décide le mardi, de jouer l’étoile de mer, j’ai déjà des courbatures de la veille… Il paraît que cela va passer…

Eric, courageux ou fou, lui retourne reconnaître une autre portion….c’est amusant il ne me dira rien de précis sur cette partie !

Le mercredi 18 octobre, retrait des dossards, une belle et gentille pagaille. Nous commençons à nous mettre dans l’ambiance.

Jeudi 19 octobre, pour moi la tension monte, je m’occupe à la préparation de mes sacs, j’ai décidé d’en laisser un à Cilaos – au 68 kms -, et un autre à Deux Bras – au 116 kms. J’ai bien l’intention d’aller le plus loin possible….

Cela ne m’empêche pas de craquer, je me rends bien compte de la difficulté ; je n’ai pas pu m’entraîner correctement à cause d’une déchirure au mollet fin Août, je n’ai jamais fait une telle distance avec autant de dénivelé, mais je relativise….

Michel m’a préparé une feuille de route, en 46 heures, cela me donnera au moins des repères, mais je « table » plutôt sur 48, voire 50 heures, bref, je n’en sais rien…

Jeudi soir, Nous avons décidé de prendre le car de « ramassage des coureurs », pour nous rendre à St Philippe, j’essaie de me décontracter en me laissant aller au « somnolage »

Michel à l’air de faire la même chose, quand à Eric, fidèle à son mal des transports, fixe inlassablement la route.

Après une vérification des sacs, nous attendons le départ dans une bonne ambiance, le directeur de course nous annonce la météo, elle devrait être bonne, c’est toujours cela de gagné, puis le compte à rebours, un dernier regard et baiser d’Eric « Attention à toi » et c’est parti….. Il est une heure du matin, le vendredi 20 octobre.

Michel et Eric ont décidé de courir ensemble, pour ma part, je vais gérer. Mais nous effectuons les premiers kilomètres tranquillement et ensemble. Il y un monde fou tout au long de ces premiers kilomètres, puis je perds les garçons de vue, cela monte doucement une belle route forestière, la nuit est superbe, le ciel est rempli d’étoiles.

Les choses sérieuses commencent, on attaque la montée vers le volcan, tout le monde marche, le sentier est accidenté, racines, pierres, boue…les discussions cessent, chacun dans sa bulle. Je n’ai pas le temps d’éviter une belle branche d’arbre, que je prends en pleine tête, première chute… Le coureur me précédant vient à mon secours, et puis par la suite à chaque branche d’arbre dépassant un peu trop, me prévient….. ! J’arrive toujours à trouver un bon samaritain…

De toute manière, il ne m’arrivera rien, j’ai mes grigris… et un joli brin de muguet…le gentil donateur se reconnaîtra….

Le jour se lève doucement, j’arrive à Foc Foc, persuadé que je suis déjà au ravitaillement du Volcan, mais un coup de téléphone de Claudine qui fait le relai avec Eric me fait revenir à une dure réalité… Bref, le paysage est magnifique.

J’arrive au ravitaillement « Route du Volcan, je jette un coup d’œil sur ma feuille de route, j’ai 1h30 d’avance…mais restons calme, la route est longue….

Nouveau coup de fil, cette fois ci d’Aurélie qui m’encourage, ils ont commencé à nous suivre sur internet, sachant où je me trouve, elle me demande comment je trouve le paysage, Lunaire !

Je marche sur la Lune, super ! Je trouve le moyen de buter, me rattrapant (et oui dès fois cela m’arrive….) en battant des bras, ce n’est pas le moment de tomber. Au lieu d’être sur où dans la lune, regarde où tu mets les pieds, Apruzzese !

Je continue, la plaine des sables, puis l’Oratoire Ste Thérèse.

Nouveau coup de fil, Aline qui vient me souhaiter bonne course à moi ainsi qu’à Eric, et qui d’un seul coup, visiblement à ma respiration, me demande :

· Tu fais quoi… ? (la, à quoi a-t-elle pu penser ? je me le demande…)

· Je coure…

· Ah ! tu coures…

· Oui je suis déjà en course…

· Oh non, je croyais que vous ne partiez que ce soir !

Et moi d’éclater de rire, je ne voyais pas sa tête, mais j’imaginais assez bien…

Puis un coup de fil de Marie Pierre : « Super Sylvie, je te suis depuis ce matin, dis tu serres les dents, hein, tu ne craques pas ?

– non Marie, je te promets »

Les SMS arrivent régulièrement sur mon portable, encouragements des copains, renseignements sur le parcours d’Eric. Nous avons réussi à nous joindre, je le rassure sur mon état, il me conseille de prendre mon temps. Je suis contente de voir que pour lui tout va bien, il m’annonce néanmoins qu’ils se sont perdus, lors d’un ravitaillement, avec Michel.

Avant d’arriver à « Mare à boue » (vous connaissez la suite ?…), je fais la route avec quelques messieurs, depuis quelques temps, je n’ai pas vu beaucoup de féminines.

Mare à boue, poste de ravitaillement, poulet, riz, bananes….je me restaure, assise dans l’herbe, il est 11h30, cela fait 10h30 que je suis partie, seulement une cinquantaine de kilomètres, un peu de fatigue. Les coureurs autour de moi, sont visiblement dans le même état. Je prends mon temps pour me ravitailler et me détendre. Puis en route vers « Kerveguen », passage d’échelles, chemin boueux, rondins au sol, c’est difficile d’avoir des appuis corrects, et ça monte !

Je vais mettre pratiquement 3 heures pour y arriver, et il n’y a qu’une dizaine de kilomètres… !

CILAOS ! Grand poste de ravitaillement, j’ai profité de la route en descente pour courir réellement, j’y arrive vers 16h30, j’ai toujours mon heure et demi d’avance, si je peux dire. Beaucoup de spectateurs, des encouragements, je rentre sur le stade, que de coureurs. Nous sommes au 68ième kilomètre. Je récupère mon premier sac et en route pour la douche, super, elle est chaude, je savoure, enlever la couche de crasse, quel bonheur. Je renfile des affaires propres, et me dirige vers « le resto ». A nouveau, poulet, riz. Je mange !

Quelques féminines sont là, après discussion, une réunionnaise et moi décidons de repartir ensemble, pour la première vraie nuit, il est 18h00 lorsque nous re-démarrons, pour votre information, la nuit tombe…à 18h30 et il fait nuit d’un seul coup.

Je suis persuadée d’être déjà dans la montée du « Taibit », entre temps j’ai perdu ma petite camarade de course, j’ai beau me retourner, je ne la vois par revenir. J’ai réussi à contacter Claudine qui me dit qu’elle m’attend dans la montée et fera la route avec moi. Malheureusement, elle m’annoncera, zut encore !, que je ne suis pas dans cette fameuse montée, mais dans celle qui la précède et tout aussi sympathique. J’arrive enfin au départ du « Taibit », il fait nuit, je regarde autour de moi, il y a des lits de camp, je suis tentée d’aller me coucher, découragée par l’annonce de Claudine. Mais cette dernière me secoue, il faut que tu montes, et ensuite tu ailles jusqu’à « Marla », là si tu es fatiguée, tu te couches. Je dois avoir l’air complètement hagarde, elle n’arrête pas de me répéter la même chose !

Je me ravitaille et la bise à la copine et j’entame cette fameuse montée….

Mes ennuis commencent, la fatigue me fait tituber, je vais de droite à gauche, je m’arrête. Drôle de sensation, saoule de fatigue ! Je suis assez tentée de faire comme certains coureurs, sortir la couverture de survie, m’enrouler dedans et dormir sur le bas côté ; mais j’ai en tête les conseils de Claudine, je serre les dents. Enfin le sommet et j’entame la descente sur « Marla », toujours titubante, je ne tourne pas la tête, je regarde du mieux que je peux devant moi, le faisceau de ma lampe me guidant…Dur, dur. Un petit monsieur me dit, elle est facile…ben voyons, de la caillasse….

Marla, 23h00, je n’ai plus qu’une demi-heure d’avance sur le « planning de Michel ».

Je me dirige vers le ravitaillement, et là catastrophe, rien ne passe. Je prends la décision de m’arrêter, je téléphone à Eric et lui explique la situation. Il m’encourage dans ce sens, repose toi, il faut que tu ailles au bout !

Pour lui, également moments de galère, ses genoux le font souffrir, il songe à abandonner, je lui conseille d’aller moins vite…, et de poursuivre jusqu’au prochain poste de ravitaillement où il y aura médecins et kinés.

Je me dirige vers la tente « dortoir », bien entendu, il n’y a pas de place, ni de couverture laine. Je me trouve tout de même un endroit, sors ma couverture de survie. Première surprise, elle a un trou pour passer la tête, on va faire avec… Mais en la dépliant, elle se « déppiote » Donc avec les morceaux restant je m’enroule comme je peux, emmitouflée dans ma parka de course j’essaie de trouver le sommeil…Difficile, entre les partants, les arrivants, les ronfleurs et les montres bippeuses….Mais j’emmerge vers 1h00 du matin. Mon inquiètude est de déplier mes jambes…comment vont-elles réagir ? Visiblement tout va (bien, je ne sais pas ? mais ça va) Direction le poste de ravitaillement, il faut que je m’alimente. J’avale déjà un thé, puis je tente un bol de pâtes…et oh joie, cela passe, me voila un peu rassurée, je me force à tout avaler, puis bananes, coca….drôle de régime !

J’aperçois un groupe de messieurs qui se prépare, je me joins à eux pour repartir.

C’est assez super, nous formons un petit ruban lumineux, comme moi, mes compagnons de route ont du se reposer, donc cela discute pas mal, c’est assez sympa comme ambiance. Nous arrivons à Roche Plate vers 4 heures du matin et nous avons parcouru depuis le départ de St Philippe, 89 kms. Le comité d’accueil est très chaleureux, gentils bénévoles au petit soin pour le coureur, versant, touillant le café…je reste quelques minutes et je repars seule dans la nuit, mais je sais que le jour se lèvera d’ici 1 heure. Une jolie forêt de filaos, un chemin agréable mais débouchant sur un passage, à droite le précipice et à gauche la main courante, que je me dépêche d’attraper !

Eric me rappelle, il continue, visiblement les kinés ont réussi à le soulager, il a environ 7 heures d’avance sur moi.

Les kilomètres se succèdent les uns aux autres, maintenant, il fait bien jour, le temps est superbe, j’arrive à « Grand Place les bas », musique, et accueil toujours aussi chaleureux, il n’y a que quelques maisons, bois sous tôle ! la case !

Les descentes succèdent aux montées, je me fais rejoindre par une féminine, nous nous retrouverons dans la montée sur Aurère, poste de ravitaillement où il nous sera servi de la salade de fruits, j’en profite pour aérer mes pieds, et leur remettre un coup de « Nok », l’état général est assez bon, les kilomètres défilent, je suis au 108km. Puis, le poste de « Deux Bras », j’ai déposé un sac, mais je ne le prends pas, belle erreur que j’ai faite, les ampoules arriveront après, faute de ne pas avoir changé de chaussettes et remis de la Nok. Il est 13h30, il me reste environ 27 kilomètres. Je prends le temps de me ravitailler, à côté de moi, sont installés quelques organisateurs, je discute un peu avec eux, et, je décide de repartir. J’attaque la montée sur « Dos d’Ane », et là, je comprends pourquoi Eric ne m’a rien dit sur cette partie du parcours que lui a reconnue… Ca monte….et à pas mal d’endroit, il y a des cordes, c’est limite escalade, il y a le vide tantôt à gauche, tantôt à droite. Je bénis mes gants de VTT. Je trouve tout de même le moyen de discuter avec d’autres coureurs, des « oreilles » ou des réunionnais, le temps passe plus vite.

Dans cette montée, coup de fil, c’est Eric, il vient de terminer et avec Michel, je suis super heureuse ! Je lui indique ma position, il me renouvelle ses encouragements et me dit d’être prudente, tu as le temps, prend le ! Ouais, mais j’en ai marre, c’est long, il est 16h15 lorsque j’arrive au Stade de Dos D’Ane, cela fait 39 heures que je suis partie. En plus, c’est la partie que nous avons reconnue, je ne plante pas la tente, je pense à la petite crête avec le vide de chaque côté et je me dis qu’il serait préférable que je la passe rapidement, et sans trop de coureurs, je taille la route. Et toujours de la montée…mais la vue est magnifique, puis descente vers le « Kiosque d’Affouche », 130ième kms. Dossard 38 annonce une personne et une féminine !

Les coureurs présents applaudissent, super sympa. Je passe un coup de fil à Eric, il est 18h15…je lui dis, il me reste 13kms, j’en ai pour 1h30….vachement sure d’elle la minette, Eric, me répond gentiment, ne t’inquiètes pas on t’attend…..

Et là commence mes petits malheurs, le début de la descente se passe à peu près bien, je mets tout de même 2 heures pour parcourir 8kms….il m’en reste 5, de cailloux, de racines dans le noir, malgré ma frontale de qualité (merci Yahn !) j’ai l’impression de passer et repasser aux mêmes endroits, je glisse, je tombe, mes genoux me font souffrir, les ampoules sont là et en descente sans trop d’appui, je déguste, je finis par craquer, je suis toute seule ! Ras le bol, la tête commence à me lâcher, non pas maintenant ! Je finis par sortir de cette forêt et enfin, j’aperçois les lumières de St Denis, encore quelques mètres avant le bitume, il me reste 800mètres, je me mets à courir, le stade devant moi, j’aperçois Eric, Michel et Claudine, ils me guettent, ça y’est ils m’ont vus, le « chacha » habituel d’Eric…les encouragements. Plus que quelques mètres sur la piste, je trouve le moyen d’accélérer, le chrono indique 44.59…, je ne comprends rien, je n’ai plus la notion du temps, les 5 derniers kilomètres auront eu raison du peu de tête qu’il me restait.

Je la franchie cette fameuse ligne d’arrivée…..je m’appuie sur la barrière, je craque. Puis je réalise enfin que je viens de vivre une belle aventure, la mienne.

Merci à mes petits camarades pour les nombreux messages. Eric, je sais maintenant ce que l’on ressent après une telle course.

Sylvie