J’ai participé le 11 avril 2015 à un superbe trail en Guyane, en forêt Amazonienne, de 85 km et 1700D+

Pourquoi la Guyane ? Il y a beaucoup de raisons à cela. La principale est que j’ai vécu trois ans, à l’age de 10 ans, en Martinique. Mon père partait souvent en Guyane et me racontait ses remontés en pirogue le long du Maroni pour rejoindre Maripasoula. Il me parlait des Amérindiens, de l’Amazonie, de Paramaribo, … Je ne devais rien comprendre à ce qu’il racontait, mais tous ces mots ont été gravés dans ma tête, comme ceux d’autres lieux où j’ai grandi et qui me font réagir très fortement : Diego Suarez,  Tana, Fort Lamy, Kaye, Niamey, Bobodioulasso, Niamkoko, … Et donc forcément, quand une petite Laëtitia nous a raconté ses périples en Guyane et ses courses en forêt amazonienne, beaucoup d’odeurs, d’images me sont revenus en mémoire. Avec ML, Nel’Aille, Véro, … on a beaucoup rêvé à de tels trails, comme au Maroc, Vietnam, Madagascar … Et puis j’ai décidé de sauter le pas, de vivre mes rêves et de partir courir cet Ultra Amazonien en Guyane, organisé par Jungle Aventures tous les deux ans. Toute ma famille devait me suivre, mais ce n’était pas très simple en dehors des congés scolaires et au fil du temps je me suis retrouvé tout seul à partir.

Entrainement à Saül. A l’origine, je souhaitais uniquement partir en forêt pendant 15 jours, en autonomie complète. J’avais contacté un guide recommandé par Laëtitia, mais il avait arrêté cette activité. Par contre j’avais repéré au coeur de la Guyane un petit village de 60 habitants, Saül, perdu à 300km de la côte, en forêt Amazonienne . Pour rejoindre Saül, c’est au choix 1h30 en avion, ou bien 3 semaines de marche en forêt, au départ de Régina en suivant un layon quasiment impraticable, vestige de la période “orpaillage” en 1960 : la Piste de Bélizon.
Le principale avantage de Saül est sa forêt primaire, bien sur, et ses circuits de randonnée de 10km à 14km, qui ne nécessitent pas de guide. J’y ai passé 7 jours, à partir du 1 avril,  pour m’imprégner de la forêt, de la température et de la chaleur. Je courrais sur 2 circuits différents par jour, soit environ 22km/800D+, plus sur une piste en latérite d’environ 16km en plein soleil. Courir était épuisant: 35°C, un taux d’humidité de sans doute 100%, pas d’air dans les layons en forêt, … J’ai vraiment douté de réussir un trail de 85km sans ces conditions. Comme vous le verrez, ce fut une excellente préparation. Bien sur, avec 60 habitants dans le village, au bout de 7 jours vous commencez à connaître du monde. Les rencontres sont constantes, et imprévisibles, comme cette ferme découverte au bout d’un layon de 8km, où vivent depuis 30 ans Marie et Yvan, avec leurs 3 enfants (24ans, 22ans et 15ans). Leurs 3 enfants ont fait le primaire à Saül, puis les cours du CNED jusqu’au lycée, avant de partir sur Cayenne puis en métropole achever leurs études. Leurs 2 filles sont maintenant revenues à Saül pour développer des activités autour de la ferme. C’est ce que j’ai pu constaté souvent: Toutes les personnes qui ont vécu en Guyane y restent, ou si elles sont partis, ne rêvent que d’y revenir. J’ai de mémorables souvenirs de nuit en carbet à 10km de Saül, perdu en pleine forêt amazonienne, de soirée à discuter autour d’un verre avec les gendarmes du village, les habitants, les randonneurs, …

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Le trail. Quatre courses sont proposées: marche, trail et biathlon VTT de 67km et un Ultra de 85km (au final !). Le départ de l’Ultra est environ à 30km de Kourou et trace plein sud en forêt. A 4h du matin il faisait déjà 29°C. On commence par 12 km de route/piste avant de pénétrer vers 5h30 dans la jungle pendant 20km, puis c’est 25km de chemin en latérite (le soleil tapait bien fort !) entrecoupé de 15km de jungle. Le dernier check-point au km72, avec une barrière horaire de 10h, est le dernier repos possible avant d’entamer un layon de ~12km fraîchement tracé dans la jungle avec 2 traversées du Kourou à la nage sur 50m puis 25m avant l’arrivée. Il y avait 146 coureurs sur les 4 parcours, dont 46 coureurs sur l’Ultra.
Dés le départ, j’ai repéré un groupe expérimenté de 3 coureurs (Sandrine, Pierre et Dominique) qui espéraient atteindre le check-point juste dans la barrière horaire des 10 heures. Je me suis donc inséré à ce groupe et nous sommes restés ensemble pendant les premiers 40km. Dominique m’a ordonné de me baigner dans chaque crique et d’arroser mon chapeau copieusement. C’est sûrement cela qui m’a sauvé. A Saül où je n’osais pas me mouiller à cause de l’eau et des bestioles, j’avais souffert de la chaleur. Avec la fraîcheur des innombrables ruisseaux traversés (50 ?), je n’ai jamais souffert de la chaleur. A partir du km40, j’ai été un peu plus rapide que le groupe et j’ai accéléré. La pluie est vite arrivée pour nous rafraîchir. Au fil du temps, j’ai rattrapé pas mal de marcheurs et de coureurs du trail. C’est très bon pour le moral 🙂 J’avais fait 8000km pour venir courir cet Ultra, donc forcément j’étais motivé.
Je pense être arrivé au check-point des 72km en 9h45 sous la barrière horaire (je cours sans montre), et après un bref repos, j’ai attaqué le dernier layon de 12km vers 14h. Tout le monde m’avait dit qu’il fallait 4 heures pour le tarverser. Cela voulait dire une arrivée de nuit vers 18h, après les traversées du fleuve Kourou. Il ne faut pas oublier que la course est au 2/3 dans la jungle, en forêt secondaire. Les bénévoles dégagent ou créent les layons quelques semaines avant la course. Ils sont truffés de racines, de trous, de rivières, de troncs d’arbres. On gagne 2 points UTMB avec cet Ultra ce qui donne une idée de la difficulté.
Malheureusement pour moi, j’ai chuté vers le km 77 dans une descente. J’ai basculé en arrière, sur le dos, et je me suis écrasé en contre-bas du chemin, un mètre plus bas, ce qui a dû correspondre à une chute de 2 mètres. J’ai été incapable de respirer pendant sûrement 15 secondes. C’est très long. On se demande avec angoisse quand la respiration va repartir. J’ai pu heureusement commencer à respirer par de minuscules bouffées. J’estime qu’il m’a fallu plus d’une heure pour respirer à petite capacité. Gonfler mes poumons était impossible. Malgré tous les coureurs qui me doublaient et à qui je donnais consigne de prévenir les bénévoles ceux-ci n’ont pas réagi. L’équipe qui m’a secouru au final était celle qui fermait le layon. Etant plus proche de la pirogue susceptible de me porter secours, il a été décidé de continuer pour l’atteindre plutôt que de rebrousser chemin, ce qui aurait été plus long. J’ai donc continué, encadré par les 2 bénévoles qui portaient mon sac. Je ne pouvais pas être aidé car je préférais gérer moi-même la douleur dans les montées ou les descentes ou lorsque je perdais l’équilibre dans la boue. J’ai mis 3 heures pour faire ces 4 km et je suis arrivé à la pirogue à 20h. J’ai donc mis 6h pour faire mes 8km sur ce layon et j’ai  abandonné vers le km80, à moins de 5km de l’arrivée. De toutes les manières je n’aurais jamais pu nager et traverser le fleuve Kourou par 2 fois  🙁
Mais j’ai eu le plaisir d’atteindre l’arrivée au camp SAUT LEODATE, pour y rejoindre les barjos qui avaient réussi. Et on m’a offert mon Tee-Shirt de finisher que j’avais largement mérité, je pense:)
Bien sur, je n’ai pas profité de ce magnifique endroit et du repas. J’ai dû dormir assis à cause de la douleur et malgré les cachets à base de morphine.
J’ai pris la première pirogue le lendemain matin pour rejoindre les urgences de l’hôpital de Kourou. Il a fallu 3 heures de pirogue  pour descendre le fleuve Kourou, truffé de chablis. Imaginer un fleuve large de 20 m par endroit qui serpente à travers l’Amazonie ! Trois heures d’émerveillement perpétuel ! Au final, le verdict du scanner a donné 5 fractures sur 4 côtes (K7, K8 x2 fois, K9 et K10 pour les connaisseurs) et un pneumothorax. C’est ce dernier qui me pose encore problème. J’ai interdiction de prendre l’avion. Dix jours après l’accident, j’ai toujours de l’air entre les plèvres. Je suis donc bloqué à Kourou pour un temps certain. Sans doute encore 1 à 2 semaines de plus.

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Bilan:
Merci, à vous tous pour vos nombreux mails et SMS d’encouragement et de soutien. Merci à ML et à Yves d’avoir relayer mon aventure au sein du CIVC. Oui, les infirmières sont très sympa, même si je ne suis pas resté dans l’hopital, mes côtes n’étant pas déplacées. Non, je ne pouvais par aller à Copacabana pour ma convalescence mais je suis d’accord que cela m’aurait fait le plus grand bien.

Au final, une très belle course, avec de belles rencontres entre coureurs, que je referai bien volontiers avec le CIVC. Mais si mon séjour fut exceptionnel et à la hauteur de mes espérances, c’est à cause de ce séjour à Saül, au coeur de l’Amazonie. Je retournerai en Guyane, avec ma famille, mais ce sera avant tout pour marcher et appréhender la (sur)vie en forêt.

 

Kourou, le 7 mai:
Le scanner est nickel. Je devrais rentrer ce soir en France. J’aurais donc passé un peu plus de trois semaines, bloqué en Guyane.
Après 10 jours de calme absolu (douleurs et précaution obligent !!!), j’ai pu louer une voiture pendant presque 2 semaines et sillonner la Guyane d’Est en Ouest, en dormant même au Surinam et au Brésil. Inutile de raconter ici mes activités, mais par contre je peux noter que grâce à ma malchance, j’aurai eu l’occasion de rencontrer un beau pays et des gens chaleureux tous les jours, matin midi et soir au grès de mes excursions. Le plus étonnant était de tisser tout un réseau de connexions entre ces gens rencontrés dans de multiples villages. Ils se connaissent tous. La Guyane est très petite.
A noter:
Charlie, Antoine et Amanda, rencontrés à Saül, puis dans un bar au Brésil, et qui m’ont invité chez eux à St Georges de l’Oyapock. Ils sont originaire de la Sarthe. Je chercherai en rentrant si ceux sont des cousins éloignés de ma femme, Laurence. Merci pour les parties de pêches et les rencontres avec les gendarmettes et douanières !
Sandrine, finisher de cet Ultra Trail Amazonien, qui a couru le Trail du Bout du Monde, La Barjo, Le Trail de l’Aberwrack … peut-être aux mêmes dates d’ailleurs que le CIVC. Merci à ta petite famille pour vos invitations pendant ma convalescence à Kourou.
Patrick et Laurence, organisateurs de ce Trail Amazonien. Merci pour vos invitations et votre empathie. Ce trail sera sans doute pour longtemps ma plus belle course.
Mado et Jean-Paul, de La Bougeotte, partis il y 7 ans de France pour un périple de 4 ans en Afrique et depuis 3 ans déjà en Amérique du Sud. A quand l’Amérique du Nord et l’Asie ?

Et à tous les autres de Saül, Roura, Cacao, St Laurent, …

Cayenne, le 11 mai à 17h:
Victoire ! J’ai eu le GO des médecins après 5 jours d’attente de papiers administratifs et je décolle dans 1h.

Ce déplacement en Guyane restera exceptionnel pour la découverte de Saül, la participation à la plus belle de mes courses (heureusement qu’il y a des organisateurs pour nous permettre de vivre nos rêves) et toutes ces rencontres en Guyane.
La vie est belle 🙂